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Le Warndt, pays noir, est un reportage photo qui a remporté le premier prix Médiatiks en 2021 dans la catégorie photo. Ce projet s’appuie sur le travail mené en lettres-histoire sur la condition ouvrière d’une part, et l’éducation aux médias d’autre part, avec une mise en avant de la subjectivité du point de vue et des choix techniques sous-jacents au parti pris du photographe. En filigrane, il s’agissait de prendre du recul sur le territoire dans lequel évoluent les élèves : un territoire minier désindustrialisé ayant laissé des traces durables dans le paysage et sa population. Ludmilla Cerveny, photographe en résidence artistique dans le lycée travaille sur la représentation du paysage à l’échelle territoriale. Par groupe de 6, elle a accompagné les élèves pour les prises de vue, l’editing et les retouches. Plus de 600 photographies ont été réalisées par les élèves.

Le reportage est consultable ici dans son intégralité.

Interview

« J’AI TROUVÉ ÇA ÉMOUVANT, IMPORTANT QUE LES ÉLÈVES OUVRENT L'ŒIL SUR CE QUI LES ENTOURE »

Julie Simon est professeure-documentaliste au lycée professionnel Hurlevent de Behren-lès-Forbach (57). En 2020-2021, elle a mené un projet photo qui a obtenu le premier prix du concours de médias scolaires Médiatiks dans la catégorie lycée. Elle nous raconte ici comment ce projet a peu à peu vu le jour.

Peux-tu nous présenter le projet de reportage photo avec lequel tu as gagné Médiatiks l’an passé ?

On est parti d’une résidence avec une artiste photographe, une résidence artistique, et j’ai eu l’idée de faire ce reportage. On était vraiment sur un projet d’art et on a essayé de voir comment adapter ces photographies d’art et les transformer en reportage documentaire et plus journalistique.

Quel était le sujet de votre reportage?

Le titre, c’était “le Warndt, pays noir”. Il s'agissait de présenter l’environnement immédiat des élèves. On est dans une zone industrielle assez sinistrée, avec un bassin en perte d'emplois, humble et parfois même décrié et on trouvait important de réfléchir à ce territoire: où est-ce qu’on habite ? Qu’est-ce qu’il y a de beau finalement dans ce territoire-là ? Donc ce sont les élèves qui ont choisi. Je leur ai présenté le projet avec la photographe. On a dit: voilà, si on devait représenter notre environnement, qu’est-ce qu’on irait prendre en photo ? On a eu la chance de pouvoir se déplacer un petit peu, on est allés dans cinq, six lieux qu’ils jugeaient emblématiques et c’est comme ça que le reportage s’est construit. C’était vraiment un projet commun avec une artiste photographe, Ludmilla Cerveny, qui a fait un super travail, qui nous a fourni le matériel, qui a vraiment été là, présente pour les élèves. Et j’avais deux collègues aussi en lettres-histoire parce que le programme des élèves en lycée pro c’est la condition ouvrière, l’évolution de la condition ouvrière. Donc c’était un projet pluridisciplinaire.

Comment ça s’est passé pour les prises de vue? Qui a pris les photos?

Les prises de vue, ça a été une vraie bouffée d’air. On était en pleine crise du Covid, masqués toute la journée, et on a pris un petit véhicule à disposition du lycée et on est partis par groupes de 8 avec les appareils de la photographe. Et là, on a pu se démasquer, et les élèves ont pu expérimenter chaque appareil. Ça a donné beaucoup beaucoup de photos, ce qui était difficile pour le tri. Ce qui fait qu’on a étendu le projet au-delà de Médiatiks. Finalement, le résultat était tellement fort qu’il y a eu une exposition en médiathèque, une petite édition, un petit livre. Le projet a tellement bien réussi qu’on en a fait une édition avec beaucoup de photos, ce qui pérennise le projet.

Comment avez-vous fait la sélection des photos que vous aviez prises?

On s’est longtemps posé la question. La photographe a fait une pré-sélection d’un point de vue purement technique, de cadrage, et ensuite, quand même, il restait une cinquantaine de photos. On a fait des choix selon le sujet. On a resserré sur les mines finalement, parce qu’on avait beaucoup d’autres photos de paysages (c’est une région très forestière) qu’on a éliminées, par pour leur qualité mais par rapport au sujet. Et petit à petit, on a écrémé. Les derniers choix n’étaient pas faciles. On a une classe de 25, il en fallait 15, il y a même eu des petites vexations. On a essayé d’équilibrer aussi pour qu’il y ait plusieurs photographes représentés. Je pense que c’est la phase la plus compliquée : sélectionner les photos. Les élèves ont l’habitude de l’image. Ils prennent des photos avec leur smartphone, ils savent faire. Donc le travail va plus être sur le choix, la mise en cohérence, la mise en ordre et le légendage.

Comment s’est passée la rédaction des légendes?

Ça a été en commun avec ma collègue de lettres-histoire. On a fait ça en classe entière. On a donné une photo à chaque élève, pas forcément la photo qu’ils avaient prise, et ensuite on a corrigé ensemble et fait en sorte qu’il y ait un ordre logique et commun. C'était vraiment un jonglage entre travail individuel et collectif. C’est le plus difficile à faire avec une classe entière mais ce sont de beaux projets à faire avec une classe pleine. Même si toutes les photos n’aboutissent pas dans ce projet, il ne faut pas hésiter à les mettre en valeur ailleurs et autrement.

Qu’a apporté ce projet de reportage photo à tes élèves, selon toi?

Je pense que c’est d’oser créer, en fait, parce que c’est montrer qu’avec une idée, un projet, en allant au bout, on a tous les capacités de créer. Je pense qu’en prenant les photos, ils ne s’attendaient pas à ce que ça donne lieu à un prix national, à une exposition à Forbach, qui était aussi vraiment très belle. Ils ont été sollicités même au niveau local, il y a eu plusieurs reportages télé. Oser créer : la création, ce n’est pas abstrait, ça n’appartient pas aux musées, ça appartient à tous. La poésie dans le quotidien, ils peuvent en être acteurs. C’est pour ça qu’avec le reportage photo, c’est vraiment facile juste d’ouvrir le regard sur l’environnement immédiat au lycée, à l’école, mais aussi en sortant juste hors de la grille. Finalement, tout est prétexte à reportage selon nos objectifs et ce qui nous entoure, notre identité.

Peux-tu nous partager un bon moment, un beau souvenir de cette expérience?

Le projet a amené plein de choses derrière. Ce qui m’a émue, c’est qu’on est sortis à moins de 20 km aux alentours du lycée. On est allés à la clairière de Freyming qui est un lieu libre, ouvert à tous, autour du musée de la mine. Et des élèves qui habitaient dans la ville même du musée n'y étaient jamais allés. Donc j’ai trouvé ça émouvant, important qu'ils ouvrent l'œil sur ce qui les entoure. Et puis, l’annonce du prix, c’était assez abstrait mais ensuite, quand le trophée est venu, qu’il y a eu l’exposition par la suite, ils étaient quand même plutôt fiers. Et voir la fierté chez les élèves, c'est toujours sympathique.

Que t’a apporté le prix Médiatiks? Qu’as-tu ressenti?

C’était une belle réussite, au départ un peu abstraite pour les élèves, mais de fil en aiguille, il y a quand même eu plusieurs reportages télé, télévision locale, France 3 Lorraine, TV8 (notre TV locale), le journal, etc. Donc les élèves sont mis à l’honneur dans l’exercice aussi de l'interview. Petit à petit cela a amené plein de choses et une très belle exposition à la médiathèque, un vernissage. Oui, on a été très soutenus. C’était une belle réussite : dans une année au point mort, voilà, il y a eu Médiatiks.

Quel conseil pourrais-tu donner à un enseignant qui aimerait se lancer dans le reportage photo ?

Le conseil, c’est de peut-être faire confiance aux élèves, se lancer et leur laisser le choix. Présenter le projet, la consigne et leur dire : de quoi vous voudriez parler ? Qu’est-ce que vous voudriez montrer ? Leur faire confiance et les laisser partir, parce que les compétences techniques, je pense qu’ils les ont. Et après, le conseil en aval, ça va être de réguler un petit peu, de justifier les choix… de bien faire ça collectivement pour que personne ne se sente frustré.

Propos recueillis par Maud Moussy le 24 mai 2022

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